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L'internat pour couper les jeunes de «leurs mauvaises fréquentations» : du déjà-vu

L'internat pour couper les jeunes de «leurs mauvaises fréquentations» : du déjà-vu

Le 22 avril 2024, le Premier ministre Gabriel Attal s'est rendu à Nice pour lancer le premier «internat éducatif». Avec ce dispositif, il entend couper les jeunes « à la dérive » de leurs « mauvaises fréquentions ». Envoyer à l'internat des jeunes à l'environnement défavorable ou montrant des problèmes de comportement, ce n'est pas une idée nouvelle. Depuis 20 ans, les dispositifs se multiplient. Sans grande réussite.  

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 24.04.2024 - Mis à jour le 02.05.2024
L'école de la nouvelle chance - 1999 - 00:00 - vidéo
 

ACTU.

Gabriel Attal s'est rendu à Nice lundi 22 avril pour inaugurer le premier « internat éducatif ». Un projet pour accompagner les jeunes « à la dérive » qu'il avait d'abord annoncé dans sa déclaration de politique générale en janvier puis détaillé le 18 avril. Arguant la présence de « dizaines de milliers de places en internat qui sont désespérément vides », le Premier ministre avait annoncé vouloir « couper rapidement et efficacement un jeune de ses mauvaises fréquentations » en l'y plaçant. Un dispositif qui s'adresse donc aux élèves qui n'ont pas été condamnés par la justice, mais dont la situation inquiète.

Cet envoi en internat devrait être temporaire, le temps de vacances ou d'une année scolaire, et en concertation avec la famille. « L’internat ne doit pas être uniquement vu comme un objet répressif (...) C’est une chance pour le jeune de sortir d’un milieu familial, un contexte social et d’avoir de meilleures chances de réussir. Comme ce qui est fait par exemple dans les internats d’excellence. C’est une manière de le faire rebondir et de l’aider à réussir », a déclaré le cabinet du Premier ministre.

LES ARCHIVES.

Depuis 25 ans, de nombreux dispositifs ont été expérimentés avec ce même objectif d'éloigner les jeunes en difficulté de leur milieu. De l'alternative au placement en structure fermée pour les mineurs délinquants à l'internat pour élèves turbulents, la plupart n'existent plus aujourd'hui. Exemples en archives.

L'école de la Nouvelle chance de Beauvais

« C'est pour faire face à la délinquance des mineurs qu'une école de la Nouvelle chance va donc ouvrir en septembre 1999, dans un petit village du beauvaisis. » À la rentrée scolaire 1999, comme on peut l'entendre dans l'archive de France 3 Picardie en tête d'article, la région de Beauvais allait se doter d'un nouvel internat « forcé » dont l'objectif était « d'éloigner les jeunes délinquants de leur environnement ».

Lancé à l'initiative du maire PS de Beauvais Walter Amsallem, ce dispositif devait accueillir une douzaine de jeunes « à l'écart de leurs quartiers » et « leur faire retrouver le chemin de la société ». Une réponse, selon le commentaire de cette archive, à l'augmentation « comme partout en France » de la délinquance des mineurs.

« Ils se disent eux-mêmes exclus de notre société, s'appuient sur [la] violence pour se faire reconnaître », expliquait Walter Amsallem. Et d'afficher la volonté des pouvoirs publics locaux d'« essayer de les comprendre pour qu'ils ne soient plus violents ». Ce dispositif était destiné aux élèves de 12 et 16 ans qui auraient commis un délit et été orientés par la justice vers l'école de Nouvelle chance. À l'époque, Libération vantait un « projet unique en France », sorte de deuxième chance après un passage en classe relais, un dispositif d'accueil des élèves en voie de marginalisations scolaire et sociale et également expérimenté sur le territoire.

Et pourtant, quelques années plus tard, en juillet 2002, Le Parisien racontait dans un article « le flop de la Nouvelle chance à Beauvais ». Cette expérimentation en milieu ouvert n'avait « jamais réellement fonctionné » : « Entre les fugues à répétition des pensionnaires et les réticences d'un juge qui renâclait à placer de fortes têtes entre des mains inexpérimentées, l'école peinait à trouver sa voie ». L'école fut remplacée en 2003 par un centre éducatif fermé, structure alternative à l'incarcération pour les mineurs créée en 2002. Actant donc la destination de ces locaux à des jeunes touchés par une mesure éducative judiciaire et la difficulté de les placer en milieu ouvert.

Un internat pour les élèves « qui risquent de devenir des délinquants »

Était-il possible d'agir avant qu'un mineur se trouve en situation de délinquance ? C'était dans ce cadre qu'en 2001, en plein débat sur le retour des maisons de corrections (et quelques mois avant la création des centres éducatifs fermés donc), le 13 h de France 2 visitait un internat éducatif à Fruges, dans le Pas-de-Calais. Là, comme on le découvrait dans l'archive ci-dessous, « les instituteurs détectent les enfants qui risquent de devenir des délinquants et propose à leur familles de les placer en internat ».

Internat de proximité
2001 - 00:00 - vidéo

À l'internat, ces collégiens « en grande difficulté sociale ou scolaire » trouvaient un cadre plus strict. Les professeurs disaient voir les élèves arriver « plus mûrs » en troisième. Particularité, ces internes étaient intégrés dans des classes d'élèves aux profils sociaux divers et ne représentaient qu'un tiers des effectifs au maximum. On y voyait « la fin de l'internat punition ».

L'internat version Nicolas Sarkozy

En politique, l'intérêt pour l'internat à destination d'élèves en difficulté a notamment été porté par Nicolas Sarkozy. En 2005, il était ministre de l'Intérieur et préparait un projet de loi sur la prévention de la délinquance. Lors d'une visite à Perpignan, rapportée dans l'archive ci-dessous, il promettait une politique innovante : « Avec un internat pour les adolescents, notamment ceux qui appartiennent à des familles monoparentales et qui n'ont pas les moyens de travailler seuls. Avec un suivi psychologique, psychiatrique, pédopsychiatrique pour des enfants dont nous allons déceler très en amont les problèmes et je généraliserais la politique essayée à Perpignan dès le mois de décembre pour toute la France. »

Quelques jours plus tard, les banlieues françaises s'embrasaient et l'agenda politique était modifié. Le 1er juin 2006, de retour à Perpignan, Nicolas Sarkozy faisait le bilan des mesures prises après les émeutes et revenait sur les objectifs de son projet de loi sur la prévention de la délinquance. Il annonçait cette fois la création d'internat de la réussite éducative : « Pour les jeunes qui ont des carences graves, qui peuvent être aussi bien culturelles, que matérielles, ou familiales, l'internat c'est un cadre de vie stable et un encadrement. » Et d'assurer : « Là encore, rien d'intrusif, ni de répressif, mais le souci d'aider. »

De ces propositions, deux formes d'internats virent le jour. Avec un objectif commun : sortir les élèves d'un environnement perçu comme délétère à la réussite scolaire.

Le premier, appelé internat de la réussite éducative, était destiné aux élèves motivés ne bénéficiant pas d'un environnement favorable aux études. Lancé en 2006, il était inclus en 2008 dans le plan Espoir Banlieues sous le nom d'internats d'excellence et destiné aux élèves d’établissements d’éducation prioritaire ou de quartiers de la politique de la ville.

En 2014, la Cour des comptes épinglait ces internats pour leur coût important et concluait : « L’effet d’affichage a pris le pas sur la cohérence d’ensemble ». Ce dispositif fut progressivement désinvesti dans sa forme originelle après le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Le gouvernement socialiste décida que tous les internats français puissent « proposer l'excellence aux élèves accueillis pour contribuer à l'égalité des chances et à la réussite de tous ». Après une nouvelle alternance politique en 2017, les internats d'excellence furent relancés, dans une version rénovée, par le Ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer dans son « plan internat » de 2019.

Le raté des Établissements de réinsertion scolaire

Un second type d'internat a vu le jour sous Nicolas Sarkozy, destiné aux élèves que Gabriel Attal qualifierait aujourd'hui d'« à la dérive ». Dans une interview sur France 2 en juillet 2010, le Président annonçait sa volonté de travailler la prise en charge des élèves « difficiles » dans des établissements spécialisés avec internat. « Il y a dans un certain nombre d'établissements difficiles des jeunes lycéens ou des jeunes collégiens dont personne ne veut. Et qui mettent la pagaille dans les établissements. C'est injuste vis-à-vis des autres. » Et de promettre 20 établissements de ce type dans les mois suivants.

Les établissements de réinsertion scolaire (ERS) devaient accueillir des élèves du second degré ayant multiplié les exclusions, avec un encadrement renforcé, et ce pour un an. Inquiet sur les moyens dont disposeront ces nouveaux établissements, Claude Bartolone, président PS du Conseil général de Seine-Saint-Denis, dénonçait un président qui « est en train de soigner plus sa pub qu'il ne s'occupe de nos enfants ».

En 2011, alors que des incidents avaient éclaté au cours de la première année de vie de ces établissements, Nicolas Sarkozy se rendait à Bagnères-de-Luchon pour annoncer un bilan positif et la création de nouveaux établissements du type. Dans le reportage de TF1 disponible ci-dessous, le président rencontrait des élèves à qui il assurait : « On n'est pas des adversaires ». À date, la France comptait 11 établissements et le chef de l'État en promettait 20 pour l'année suivante.

Mais, en juin 2012, un rapport notait des résultats en demi-teinte pour les ERS par comparaison aux moyens engagés et recommandait la fermeture de certains d'entre eux.

Dans un sujet de TF1 sur l'échec scolaire diffusé à la même période et disponible ci-dessous, le sociologue François Dubet notait l'inflation de dispositifs dédiés et l'une des raisons de leur échec : « Notre tendance depuis quelque temps c'est de repérer ces élèves et de les mettre dans des dispositifs. Il faudrait être plus capable dans le fonctionnement de la classe de traiter directement ces problèmes. Et peut être changer les méthodes ».

Lutter contre l'échec scolaire
2012 - 00:00 - vidéo

Abandonnés avec l'alternance politique, les ERS furent dissous dans des dispositifs d'accompagnement d'élèves décrocheurs comme les classes relais, évoquées plus haut. Dotés d'internats, d'abord appelés internats-relais puis internat tremplin, elles étaient déjà désignées en 2012 par l'Inspection générale de l’Éducation nationale comme étant des dispositifs fonctionnels proches - et intégrés - des ERS. Ils existent toujours aujourd'hui et pourraient répondre aux manquements soulignés par Gabriel Attal.

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