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À «La Casa Miguel», Maria a servi des repas à 5 francs pendant 50 ans

À «La Casa Miguel», Maria a servi des repas à 5 francs pendant 50 ans

Dès 2025, les restaurants devront signaler les plats qui ne sont pas faits maison. Dans les années 80, à « La Casa Miguel », petit restaurant du IXe arrondissement de Paris, on n'avait pas besoin de label, tout était préparé par Maria Codina. Devenue célèbre dans le monde entier, elle mettait un point d'honneur à régaler ses clients pour quelques francs. Découverte en archives, et par le menu, d'un des restaurants les moins chers de France.

Par Florence Dartois - Publié le 25.10.2023
La Casa Miguel - 1980 - 04:23 - vidéo
 

L’ACTU.

Dans La Tribune dimanche, dimanche 22 octobre, la ministre déléguée aux PME et au Commerce Olivia Grégoire a annoncé vouloir mettre en place pour 2025 la signalisation sur les cartes des restaurants des plats « non fait maison ». Cette démarche vise à protéger le consommateur, défendre les restaurateurs proposant de vrais plats maison et préserver la qualité de la gastronomie nationale.

La mention était jusqu’alors facultative. En 2011, l'Assemblée nationale avait voté un amendement qui imposait aux menus d’indiquer si les plats étaient élaborés à partir de produits frais. En 2014, le décret « fait maison » créait un label dont le logo est une casserole sur laquelle est posé un toit de maison. Ce dispositif est peu satisfaisant a concédé Olivia Grégoire dans son interview, ajoutant que le gouvernement souhaitait apporter « davantage de transparence, aux clients du quotidien comme aux touristes ». Des négociations devront être menées avec les organismes représentatifs du secteur. Le président de l'Association française des maîtres restaurateurs, Alain Fontaine, a estimé que sur les 175 000 restaurants de l’hexagone, seuls 7000 restaurants proposaient actuellement « une cuisine totalement faite maison ».

Toutes ces préoccupations n'auraient pas concerné la patronne du restaurant « La Casa Miguel » que nous vous proposons de découvrir en archives dans cet article.

LES ARCHIVES.

Pendant près de 50 ans, cette veuve d’un Républicain espagnol exilé en France avait tenu le restaurant certainement le moins cher de France. Une adresse qui remplissait les estomacs des plus démunis, mais pas seulement, pour quelques francs. Niché dans le IXe arrondissement de Paris, le restaurant était installé au 48 de la rue Saint-Georges, tout près de l'église Notre-Dame-de-Lorette. C’était un endroit désuet, aux papiers peint démodés, qui ne payait pas de mine. Pourtant, l’adresse était bonne et la salle ne désemplissait pas. Au menu : poireaux vinaigrettes, nouilles, cassoulet ou couscous…

Dans les années 80, il était connu comme pour être le moins cher de Paris. Et pour cause, chaque jour, Maria Codina servait midi et soir ses plats faits maison. Nous avons retrouvé dans nos archives plusieurs reportages consacrés à la délicieuse Maria et à ses petits plats. Celui en tête d’article date d’octobre 1980, il avait été diffusé dans le magazine « Fenêtre sur… » d’Antenne 2, et il nous permet de découvrir l’atmosphère surannée du restaurant. Installée dans sa cuisine rustique, Maria revenait sur son histoire : son exil d’Espagne en janvier 1939, le jour même de l’entrée de Franco, l’ouverture de son restaurant 10 ans plus tard, le 15 mars 1939.

La restauratrice proposait une carte à petit prix. Après 3,50 francs, le menu était passé à 5 francs. Interrogée en salle, la Catalane au tablier couleur corail assorti aux fleurs qui décoraient les tables, expliquait de sa petite voix que son « secret » était simple : elle était tout « très économe » et elle faisait « très attention ».

Même les habitués s’étonnaient de la note. Mais ce n’était pas l’unique raison de leur fidélité. « Le prix est miraculeux et elle fait de la bonne cuisine, très bonne que l’on ne trouve pas en brasserie », disait l'un d'eux « on trouve l’endroit sympathique, on mange bien et pas cher », ajoutait une autre. Pour 5 francs, ils avaient droit à une entrée, un « plat garni » et, au choix, du fromage et un dessert, arrosé d’un « quart de vin par personne ».

L’adresse était célèbre et le minuscule restaurant ne désemplissait pas. Il fallait patienter pour pouvoir s’y poser, car Maria ne proposait que 32 couverts, midi et soir. Si les habitués constituaient l’essentiel de sa clientèle, les touristes aussi se pressaient car « La Casa Miguel » était en bonne place dans les guides touristiques. Ils venaient « de partout, partout », confirmait la restauratrice qui affichait un sourire carmin satisfait. Même des Chinois, qui lui disaient merci en se frottant le nez, confiait-elle avec son petit accent catalan. Elle avait beaucoup d’anecdotes à raconter, confiant : « je ne pourrais pas vivre sans ce contact humain ».

Difficultés financières

En novembre 1981, « La Casa Miguel » rencontrait des difficultés. N'ayant jamais été rénové, il ne répondait plus aux normes sanitaires ni de sécurité et était menacé de fermeture. Avec ses petits revenus, Maria n’avait pas les moyens d’effectuer les travaux. Le JT de FR3 s’était rendu sur place. Cette annonce avait suscité un élan de solidarité : une quête, des dons et une pétition qui avait recueilli plus de 700 signatures. Ce soutien lui redonnait le sourire. Dans sa cuisine, la restauratrice conservait l’espoir de ne pas fermer. Sa vocation, c'était, expliquait-elle, d’aider les plus démunis à se nourrir. Et elle n’imaginait pas y mettre un terme, « ce serait ma mort » sinon, déclarait-elle à la journaliste.

Un mois plus tard, en décembre 1981, c’était au tour du 20h de TF1 de consacrer un reportage à ce « dernier petit bastion contre la vie chère menacé de fermeture ». Le reportage faisait la part belle aux clients, enchantés par cette « ambiance chaleureuse », et par les « quantités copieuses pas chères ». La restauratrice de 73 ans faisait tout : les courses, la cuisine, le service et les comptes. « Je suis une petite fourmi, je ne gaspille rien et j’y arrive », expliquait-elle. Les traits tirés, avec un faible sourire, la « mama » ne désarmait pas, mais avertissait à nouveau : si on la forçait à fermer, elle en mourrait. En attendant, elle comptait sur les lenteurs administratives, ironisait le commentaire.

Reconnaissance et célébrité

Surprise... 4 ans plus tard, en 1985, le restaurant existait encore. À 76 ans, Maria continuait, comme avant, de régaler les gourmands dans son « restaurant à 5 balles ». Toujours aussi pimpante, la restauratrice accueillait les caméras du « Mini journal » de TF1. Pendant que la cuisinière s’affairait au fond de sa cuisine, dès 18h00, de nombreux clients attendaient devant son établissement !

La fin de ce reportage réserve une surprise « musicale » à ne pas manquer...

En décembre 1987, Antenne 2 diffusait un nouveau reportage sur le restaurant qui proposait le « réveillon le moins cher du monde ». Maria ne dérogeait pas à sa propre règle, celle d'un repas de fin d’année à 5 francs. À l’occasion de ce nouveau portrait, elle exhibait fièrement le Livre Guinness des records, où, depuis 7 ans, elle tenait le record du « Restaurant le moins cher du monde » ! Sa clientèle avait évolué, beaucoup d’étudiants venaient désormais déguster un plat chaud.

Le réveillon de Casa Miguel
1987 - 01:41 - vidéo

Pour terminer nos repas à « La Casa Miguel », nous vous proposons une dernière archive originale. Il s’agit d’un reportage réalisé par des étudiants de l’INA en 1989. Quatre jeunes stagiaires de RFO-Martinique en cours de formation avaient tourné leur premier reportage chez Maria. Devant ses fourneaux, la cuisinière décrivait sa journée type et revenait sur sa longue carrière, expliquant pourquoi elle avait choisi de pratiquer ce si petit prix qui l’avait rendue célèbre.

Selon un article du blog de Michel Malgouzou, Maria, 84 ans tenait toujours son restaurant en 1991 : « Sa fille lui a demandé d'arrêter. Mais Maria Miguel veut continuer (...) La retraite, antichambre de la mort, ne lui conviendrait pas. En hiver, elle n'ouvre plus le soir. C'est la seule concession qu'elle ait jamais faite à la pression familiale (…) En l'an 2000, son restaurant reviendra à l'unique fils de son unique fille. C'est écrit noir sur blanc chez le notaire. (...) ».

Le restaurant a finalement fermé ses portes en 1993 et Maria Codina est morte en 1998.

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