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«La maman et la putain»  de Jean Eustache, entre exaspération et admiration

«La maman et la putain»  de Jean Eustache, entre exaspération et admiration

À partir du 7 juin, les douze films de Jean Eustache reviennent en salles. «La maman et la putain» par exemple avait suscité beaucoup de critiques lors de sa sortie, avant de remporter le Grand prix du jury à Cannes.

Pa Florence Dartois - Publié le 17.05.2022 - Mis à jour le 05.06.2023
 

L'ACTU.

Plus de 50 ans après avoir remporté le Grand prix du jury à Cannes, La maman et la putain de Jean Eustache revient en salles en version restaurée. Ainsi que ses onze autres films.

L'ARCHIVE.

Présenté en mai 1973 sur la Croisette, le second long métrage de Jean Eustache (1938-1981) proposait un portrait très réaliste de la société française post-Mai 68, teinté d'une analyse parfois provoquante de l'amour à l’heure de la libération sexuelle. À l'époque, ce film déconcertant de 3h30 avait secoué le festival. Certains avaient été choqués par le comportement d’Alexandre (Jean-Pierre Léaud) partageant sa couche et sa lâcheté avec Marie (Bernadette Lafont) et Veronika (Françoise Lebrun), ou exaspérés par leurs longs monologues. D'autres au contraire avaient été émerveillés par les gros plans en noir et blanc dépeignant avec poésie la quête existentielle des trois héros.

Quoi qu'il en soit, La maman et la putain avait divisé la critique. L'archive en tête d'article date du 5 mai 1973 et montre un exemple de l'enthousiasme suscité par cette curiosité cinématographique. Ce jour-là, la journaliste France Roche partageait son avis sur ce film atypique en lice au festival, et semblait avoir été charmée. A ses côtés, l’acteur principal, Jean-Pierre Léaud.

La journaliste décrivait que sous l’apparence d’une chronique, « que certains trouveront parfois scandaleuse ou osée », il s'agissait en réalité d'un film de moraliste. Elle ajoutait conquise : « on y découvre, ce que je trouve très rare, des personnages qui sont totalement de notre époque, qui parlent exactement le langage qu'on parle en ce moment en Rive gauche, et qui révèlent un goût de l’amour, de la tendresse, qu’on ne voit pas très souvent en ce moment. »

Après cette entrée en matière élogieuse, France Roche demandait à Jean-Pierre Léaud, qu’elle décrivait comme un personnage « cynique à la Jean-Jacques Rousseau, mais en même temps extrêmement sensible», de présenter Jean Eustache, le réalisateur. L’acteur révélait l’avoir découvert avec son premier long métrage, Les mauvaises fréquentations. Il expliquait avoir vu en lui un « véritable créateur » capable de proposer des dialogues avec une grande « justesse de ton ». Ils s’étaient vraiment rencontrés plus tard « aux Cahiers du cinéma ». C’est ainsi que le cinéaste lui avait proposé de tourner dans son second film intitulé Le père Noël a les yeux bleus, avant de lui donner le rôle-titre dans cette dernière œuvre.

Une critique acerbe

Mais toutes les critiques de cinéma n'étaient pas aussi favorables au long métrage, à l'instar de celle de Gilles Jacob à découvrir ci-dessous. Nous sommes le 17 mai 1973, dans le magazine « Couleurs autour d'un festival ». Ne mâchant pas ses mots, il allait descendre le film en flammes, le qualifiant de « merdique », et expliquant que de regarder Jean-Pierre Léaud durant 3h30, c’était regarder « un non-film, filmé par un non-cinéaste et non joué par un non-acteur ».

L'équipe défend le film

Un peu plus tard dans la même émission, André Halimi donnait un droit de réponse à l'équipe du film en présence de Gilles Jacob et de Jean-Louis Bory, autre célèbre critique, qui n'avait pas été tendre lui non plus avec le film. En réaction aux critiques acerbes dont il avait fait l’objet plus tôt, le cinéaste s’avouait « surpris » de cette agressivité et assurait ironiquement qu’à sa connaissance Gilles Jacob « n’avait jamais aimé » ses films ni le cinéma. Il ajoutait sarcastique, « qu’il n’aime pas mon film me flatte beaucoup », affirmant qu’il aurait « été très malheureux » si Gilles Jacob avait apprécié son film.

Jean-Pierre Léaud, également présent répondait avec diplomatie aux critiques proférées à son encontre, en citant une phrase de Jean Cocteau : « Ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est toi ».

L'un des reproches qui avait été fait au film concernait sa longueur, Jean Eustache s’expliquait sur le rythme adopté laissait une place de choix « aux moments anodins ». Autre reproche proféré, celui des dialogues interminables. Cette fois c'était au tour de Jean-Pierre Léaud de défendre la « théâtralité du texte », qu'il avait tenté de rendre de manière « la plus naturelle possible ». Quant au réalisateur, revenant sur la critique faite sur sa manière d’écrire, il rappelait que sa seule ambition étant « de faire du cinéma » et pas de la littérature. Puis prenant la défense de son acteur, Jean Eustache ajoutait qu'il avait écrit ce film pour lui : « le seul acteur qui était capable de jouer ce rôle ».

Interrogées par Jacqueline Alexandre, les deux actrices du film allaient elles aussi prendre part au débat, Bernadette Lafont évoquant la « force du scénario » et Françoise Lebrun son plaisir d’avoir joué ce rôle de composition. Jean Eustache justifiait ce choix d'une totale inconnue inexpérimentée comme une évidence car, l'affirmait-il, « elle pouvait garder le recul pour le jouer vraiment, pour le jouer sans le vivre ».

Autour de "La maman et la putain"
1973 - 08:32 - vidéo

Un film primé

Malgré toutes ces polémiques, La maman et la putain allait obtenir le Grand prix spécial du jury à Cannes. L’occasion, le 8 juin 1973, pour l’équipe du film d’évoquer cette aventure commune, et pour le cinéaste de revenir sur la genèse de ce film fleuve écrit pour ces acteurs-là en particulier. Il réaffirmait l'importance des dialogues, préférant filmer « le récit de l’action » plutôt que « l’action » elle-même. Un texte qu’il connaissait par cœur et qui laissait peu de place à l’improvisation.

Autour de "La maman et la putain"
1973 - 10:03 - vidéo

Bernadette Lafont et Dieu créa la femme libre retrace, par la voix inimitable de l’actrice, sa vie et son parcours artistique époustouflant. Ses amis proches Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon évoquent leurs complicités et ses petites filles Anna, Juliette et Solène la maison ancestrale des Cévennes.

Pour aller plus loin

20h00 : La sélection française au festival de Cannes. Cette année-là, trois films français composaient la sélection française, choisis pour « secouer le conformisme désuet des années précédentes ». Les films en question étaient : La planète sauvage, un film d’animation du dessinateur Topor, réalisé par René Lalou, La maman et la putain de Jean Eustache et La grande bouffe du réalisateur italien Marco Ferreri. Interviews de André Astoux, le directeur Général du Centre National du Cinéma et d'Ingrid Bergman, présidente du jury. (13 mai 1973)

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