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Le combat du docteur Denis Mukwege qui répare les femmes des viols

Le combat du docteur Denis Mukwege qui répare les femmes des viols

Denis Mukwege, gynécologue-obstétricien congolais, est candidat à la présidence de la République démocratique du Congo. Depuis plus de 20 ans, il répare les femmes violées et mutilées.

Par Florence Dartois - Publié le 12.04.2022 - Mis à jour le 19.12.2023
 

Parmi les grands défenseurs des femmes victimes de viols en période de conflit se trouve un médecin congolais : le prix Nobel de la paix de 2018, le Docteur Denis Mukwege. Ce gynécologue consacre son travail à réparer par la chirurgie les femmes violées et mutilées. Lors de la remise de son prix, il avait déjà soigné près de 50.000 femmes. Il n'a de cesse de dénoncer le viol, utilisé comme une arme de guerre dans les conflits.

Dans le portrait qui lui était consacré le 5 octobre 2018, à découvrir en tête d’article, les caméras de France 2 s'étaient rendues dans son hôpital de Panzi, fondé en 1999. À l’époque de son ouverture, il pensait aider les femmes congolaises à mettre leurs enfants au monde. Mais très vite, il réalisa que son métier serait surtout de réparer les femmes, notamment dans le Sud-Kivu où Congolais et Rwandais se faisaient la guerre et où le corps des femmes devenait « leur champ de bataille ». A l’époque, à la veille des premières élections présidentielles libres depuis quarante ans en République démocratique du Congo, la population était terrorisée par les milices rwandaises hutues qui effectuaient des razzias dans les villages, enlevaient les filles, violaient les femmes et commettant des meurtres et des vols.

Au moment du reportage, le docteur recevait jusqu'à 200 victimes par mois. Il décrit crûment la violence subie par les femmes : « Non seulement on viole, mais aussi on détruit. On tire au niveau de l’appareil génital, on y introduit la baïonnette, on y introduit du feu, des produits chimiques… »

En écoutant le récit des victimes, il s'est forgé une conviction : le viol est une arme de guerre utilisée à grande échelle. Puis un constat amère : le monde ferme les yeux. « Il n’y a pas un mouvement de masse, aussi bien au niveau national que sur le plan international pour dire "Assez ! Trop c’est trop ! " », dit-il.

Viol : une arme de destruction massive

Pour lui, le viol et les agressions sexuelles perpétrées en temps de guerre font partie d'un acte de destruction sociétale. Il théorisait cela dès 2006, dans l'archive ci-dessous.

Un drame d'une grande ampleur puisque l’année précédente, près de 4000 femmes s’étaient fait soigner dans son hôpital. 1000 avaient dû être opérées. Bien souvent les agresseurs abusaient d’elles publiquement devant la communauté, les maris et les enfants, leur infligeant tortures et mutilations, ce qui faisait dire au médecin qu'il ne s'agissait pas de « viols habituels, ou des violences sexuelles habituelles » mais bien d'une « stratégie de guerre pour détruire complètement une société. »

Violences militaires au Congo
2006 - 03:14 - vidéo

« Ils nous attachent, ils disent qu’ils veulent de l’argent et des filles, si on ne leur donne pas, ils nous tuent», « On a beau appeler à l’aide personne ne vient nous aider ».

Calvaire et indifférence internationale

L’hôpital de Denis Mukwege recueille aussi de nombreuses victimes de rapt transformées en « esclaves sexuelles . Quelques-unes parviennent à s'échapper, parfois avec des enfants nés du viol, mais beaucoup meurent. Celles qui parviennent à rejoindre l'hôpital racontent leur calvaire dans le reportage ci-dessous, réalisé en 2008.

Sur des images du médecin et de son équipe en pleine opération, le commentaire précise qu’un tiers des femmes soignées ici subissent une ou plusieurs opérations chirurgicales ou réparatrices de « l’appareil génital ou digestif ». Pour le médecin, ces viols publics auxquels la communauté était obligée d’assister, voire de participer, et qui se terminent par des blessures intentionnelles sur l'appareil génital, « c’est comme si on voulait détruire la vie à l'origine ».

L’hôpital vient d’ouvrir une aile supplémentaire pour accueillir toujours plus de femmes « détruites tant physiquement que psychologiquement ». Avec l’aide d’assistantes sociales et de psychologues, il a monté une sorte de « guichet unique » pour une prise en charge globale.

Un point l'exaspère toujours, le silence de la communauté internationale . Devant la caméra il se désole : « on va se rendre compte de la profondeur de la destruction quand ce sera trop tard (...) malheureusement c'est comme cela que le monde fonctionne, on réagit après ».

En RDC, le viol comme arme de guerre
2008 - 05:16 - vidéo

Onze ans après le reportage, en 2019, le gynécologue est devenu prix Nobel pour son action auprès des femmes. Désormais reconnu, il venait de recevoir une aide financière de la Fondation Fabre pour l'aider à poursuivre sa mission auprès des victimes de viols en RDC. A l'occasion d'un déplacement en France, il décrivait, dans l'interview ci-dessous, l'objectif de son processus de prise en charge évoqué plus haut : le « one stop center », ce guichet unique de soins  : « La victime raconte une fois son histoire parce qu'il faut éviter que la victime soit re-traumatisée en répétant ce qui lui est arrivée plusieurs fois. Et au même endroit, elles ont tous les services, physique, psychologique, légal et socio-économique ».

Malgré la reconnaissance, un prix Nobel, des aides financières, le gynécologue se sentait toujours isolé. Après toutes ces années de combat, Denis Mukwege réitérait son indignation et ne cesserait jamais de s'élever face à l'inaction générale : « Je considère qu’accepter que le conflit, la guerre, puisse passer sur le corps des femmes, et que ce soit le corps des femmes qui payent le lourd tribu d'un conflit armé, je crois que ça, c'est inacceptable ! »

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