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Avec «Jeanne Dielman», Chantal Akerman réhabilite la femme au foyer

Avec «Jeanne Dielman», Chantal Akerman réhabilite la femme au foyer

La revue britannique «Sight and Sound» place un film expérimental réalisé par une femme en tête de son classement décennal de meilleur film de tous les temps. Il s'agit du film «Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles», réalisé en 1975 par Chantal Akerman. Au moment de sa sortie la jeune cinéaste était venue le défendre en personne devant la crème des critiques du «Masque et la plume».

Par Florence Dartois - Publié le 06.12.2022
Chantal Akerman à propos de "Jeanne Dielman" - 1976 - 02:51 - vidéo
 

L'ACTU.

Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles, ovni cinématographique sorti en 1975 est élu « meilleur film de tous les temps » par la revue britannique « Sight and Sound ». Son classement très respecté est publié depuis 70 ans tous les 10 ans, il émane d’un panel de plus de 1000 sondés, tous critiques émérites et spécialistes anglo-saxons et internationaux du Septième art. Chantal Akerman avait 25 ans au moment de la sortie de son film entièrement tourné avec une équipe féminine. Une première à l'époque.

Le rôle principal était tenu par une icône féministe du cinéma français, Delphine Seyrig. Ce long métrage de 3h21 avait de quoi surprendre. Il racontait par le menu la vie quotidienne et bien organisée d'une femme au foyer, veuve et mère célibataire qui, tout en réalisant une succession de tâches ménagères, trouvait le temps de se prostituer, chez elle, en fin d'après-midi. Une routine bien huilée qui allait peu à peu se dérégler. C'est ce qu'elle était venue expliquer aux critiques de la célèbre émission de France Inter « Le Masque et la Plume ».

L'ARCHIVE.

Dans l'archive en tête d'article, la jeune femme s'était glissée incognito - ou presque - dans le public du studio 105, le 25 janvier 1976. Sans dévoiler ici le cœur de l'intrigue, la jeune réalisatrice expliquait en quelques mots le propos de son film. Pour son héroïne, il était avant tout question d'ordre : « un trop grand ordre conduit au désordre ». Malgré les apparences, dans le monde de son héroïne, il n'y avait pas « de place pour le plaisir » et le plaisir introduisait« un abîme dans sa vie. Donc son inconscient allait « commencer à parler » et son quotidien à se dégrader lentement. Parmi les critiques présents, l'un d'eux semblait avoir capté l'intention du cinéma de Chantal Akerman, capable d'effacer « tous les effets ». À la suite de son intervention, Albert Cervoni l'évoquait de manière très lyrique : « pendant longtemps le cinéma a guidé notre regard. Là, tout simplement il y a quelqu'un qui regarde et nous, nous avons à déchiffrer. Chaque spectateur est, à un moment, le créateur d’un film », concluait-il, lui rendant ainsi un vibrant hommage.

L'angoissante condition féminine

Ce film intriguant qui décortique le quotidien minutieux d'une femme avait de quoi désarçonner. Ce qu'il fit, notamment auprès de la gent masculine un peu déboussolée de découvrir un monde inconnu : celui de leurs épouses les attendant sagement « au foyer ». Le 17 janvier 1976, dans l'émission « Clap », Pierre Bouteiller allait le prouver. Il recevait ce jour-là Delphine Seyrig et Chantal Akerman à l'occasion de la sortie du film. Ne cernant visiblement pas l'intérêt du rôle, il demandait à l'actrice la raison pour laquelle, elle qui était célèbre, avait accepté de jouer un rôle qui la « de-starisait » et la « banalisait ». Elle expliquait que c'était le sujet, complètement inédit au cinéma, qu'il l'avait séduite. Cette féministe de la première heure avait été touchée par ce portrait de la femme d’intérieur, de sa vie, de ses occupations, une vie complètement différente de la sienne. Cette routine imposée qu'elle avait les moyens de refuser, mais que vivait alors des milliards de femmes. Elle s'étonnait d'ailleurs des réflexions de certains spectateurs masculins qui refusaient de croire à la véracité des faits décrits dans le film. Ce film leur dévoilait un pan du quotidien complètement ignoré des hommes absents toute la journée.

Ce cinéma intimiste et féminin, Chantal Akerman affirmait d'ailleurs qu'aucun cinéaste homme n'aurait pu le filmer. Comment filmer un quotidien que l'on ne soupçonne pas ? Ces scènes étaient nées des images de son enfance, celles qu’elle observait quotidiennement, petite fille, ces « femmes de dos portant des paquets ». En leur rendant une légitimité, ce film offrait une existence à ces femmes de l'ombre, prisonnières de leur quotidien.

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